La tournée m'a fait réaliser que je devais me laisser porter et m'adapter à chaque situation.

Début décembre, SOHN était de passage à Paris pour promouvoir son nouvel album Rennen qui sort aujourd’hui 13 janvier. Fini l’artiste mystérieux caché derrière ses grands hoodies noirs : Christopher Taylor nous revient avec plus d’assurance et beaucoup plus détendu. Ses voyages et sa vie personnelle l’ont profondément transformé pour nous délivrer sa musique plus simplement.

  • Que s’est-il passé entre l’album Tremors et ton nouvel album Rennen ?

  • Christopher

    J’ai du faire le tour du monde 7 fois. C’était une expérience incroyablement grandiose en presque 1 an et demi.
    Lorsque Tremors est sorti, on a fait quelques dates, des festivals, puis des tournées européenne et américaine. On a fait une pause pour recommencer la même chose en y ajoutant des tournées asiatique et australienne. Et on a recommencé encore les tournées européenne et américaine.
    Quand j’y pense maintenant, ce sont juste des millions d’images qui défilent très vite dans ma tête.
    J’ai vécu ça intensément. Au moment où j’ai rouvert les yeux, j’avais déménagé à Los Angeles, j’avais parcouru le monde 7 fois, je m’étais marié et j’avais un fils.


  • Quand as-tu commencé à écrire Rennen ?

  • Christopher

    Un an et demi après Tremors et à cause de la tournée, je n’avais aucun morceau. J’ai essayé d’écrire à Los Angeles mais ça n’a pas été très productif. C’est génial pour travailler avec d’autres gens mais ce n’était pas la bonne atmosphère pour moi.
    Tremors a été écrit à Vienne, loin de tout le monde. Ça s’est fait dans un joli petit studio. Il neigeait quand je me baladais dehors.
    Cette fois, j’étais dans la capitale mondiale de l’industrie musicale. Tu commences à écrire quelque chose et la personne dans le studio d’à côté est en train de faire une reprise de Cheerleader pour YouTube. C’est impossible de sortir prendre un café, de retourner au boulot et de s’enlever ça de la tête pour bosser sérieusement. J’étais entouré de personnes voulant faire des tubes pop pour la radio. C’était impossible de me concentrer à faire de ma propre musique dans un tel environnement.
    J’ai fini par aller dans le ranch d’un ami au-dessus de San Francisco. J’y ai eu un accès exclusif quelques temps. J’ai mis toutes mes affaires dans une petite pièce qui n’était même pas un studio. Il n’y avait que moi et 2 cerfs qui s’approchaient parfois à la fenêtre.


  • Où as-tu puisé ton inspiration ?

  • Christopher

    En partie de la fille que j’ai fini par épouser. À l’époque c’était cette incroyable fille un peu sauvage avec qui je passais mes soirées à boire et après laquelle je courais. Les évènements politiques aux États-Unis m’ont également influencé.
    Et surtout, j’ai essayé d’être plus direct. Je voulais simplifier ce que je faisais et renforcer les éléments clés. Je voulais également trouver ma place dans le monde maintenant après avoir quitté Vienne.


  • Ton comportement a changé ?

  • Christopher

    J’ai l’impression d’avoir plus d’espace dans mon cerveau. La confiance et la maturité acquises pendant la tournée ont fait que je n’étais plus la même personne à mon retour.
    La tournée m’a fait réaliser que je devais me laisser porter et m’adapter à chaque situation. Quand on reste trop longtemps au même endroit, on s’attend à avoir les mêmes habitudes partout, mais ce n’est pas le cas. Ça a également influencé mon écriture, j’aborde ça de manière plus détendue.


  • J’adore le titre Primary que je trouve assez différent musicalement. Tu peux nous en parler ?

  • Christopher

    J’écoutais beaucoup un duo qui s’appelle Kiasmos (Ólafur Arnalds et Janus Rasmussen). J’étais obsédé par leur album. On peut vraiment sentir l’espace dans leurs morceaux.
    Le titre fait référence aux primaires électorales aux États-Unis. Je n’aurais jamais imaginé qu’il y ait autant de propos déplacés et autant de haine. Ce morceau est comme un avertissement pour moi. La dernière fois que ça s’est aussi mal passé, il y a eu une guerre mondiale.


  • Tu es passé de Londres, à Vienne, à Los Angeles. En quoi ces villes t’inspirent ?

  • Christopher

    C’est plutôt mon attitude qui a changé.
    J’ai passé 25 ans de ma vie dans un petit appartement de la banlieue de Londres. Je n’étais pas vraiment la personne que je voulais être. Je voulais rester en sécurité en étant un peu en retrait. Quand j’ai déménagé en Autriche, je me suis débarrassé de tout ça. J’ai pu exprimer ce que je voulais être. Maintenant que je vis aux États-Unis, je m’invente encore la personne que je veux être.


  • Sur le premier album, tu aimais conserver un certain mystère : on ne voyait presque pas ta tête, tu portais de longs gilets noirs, l’éclairage dans tes concerts était faible. Et aujourd’hui, je te vois portant un t-shirt et un chapeau. Que s’est-il passé ?

  • Christopher

    À l’époque du premier album, je portais des gilets pour que le peu de moi montre le meilleur. J’ai réalisé que la seule constante des artistes que j’aime et qui ont sorti plein d’albums, c’était eux-mêmes. Si on continue à se cacher, je pense qu’on ne peut pas faire de projets intéressants pendant très longtemps.
    Avant, j’essayais de construire qui j’étais en apportant des éléments de décoration. Maintenant, si je veux continuer à faire plein d’albums, je dois commencer à juste être plus détendu et plus moi-même dans tout ce que je fais. Je veux explorer différents supports et différents styles pour moi-même, et non pas parce que l’industrie musicale les demande.
    Je suis également moins attaché à ce second album. J’ai compris que c’était un projet artistique et que ça ne définissait pas qui je suis ou qui je voulais être. J’en suis très heureux et je peux passer au suivant.
    Quand j’ai sorti Tremors, c’était mon album. C’était le premier et peut-être le seul que j’allais sortir. C’était plus fatigant pour moi.


  • Ta musique est très cinématique. As-tu pensé à bosser sur des bandes originales de films ?

  • Christopher

    Je le ferais certainement si j’avais le temps ! (rires) J’ai déjà eu quelques opportunités.
    Le mois dernier j’ai acheté un piano. Ça a totalement changé ma façon de composer de la musique : je peux le faire quasiment tout le temps. Avant je devais attendre d’être en studio pour commencer à écrire quelque chose. Je suis presque en train d’écrire partout où je vais maintenant.
    En expérimentant avec ce piano, j’ai composé beaucoup de choses qui ne deviendront certainement pas des chansons. J’ai donc peut-être déjà composé ce qu’une prochaine bande originale pourrait être.


  • Le clip de Signal met en scène Milla Jovovich. Comment l’as-tu rencontrée ?

  • Christopher

    Elle est venue à moi ! (rires) Ça s’est passé très vite en fait.
    J’avais cette idée en tête de mettre en scène une performance d’acteur qui réagissait face caméra sans savoir à quoi. Je commençais à m’ennuyer des clips de l’année et demie passée. Mon manager vient du Royaume-Uni et toutes les vidéos qu’il me montraient se ressemblaient : un garçon au look androgyne un peu fragile qui vit dans des logements sociaux, qui fait on ne sait quoi pendant presque 3 minutes, et qui finit par danser.
    Je voulais vraiment faire quelque chose de plus intéressant. Ce que j’aime beaucoup c’est de regarder une scène d’un film ou d’une série, et d’entendre la musique arriver. On s’attache d’abord à l’histoire ou au sentiment exprimé, et la musique nous fait plonger davantage dans la scène. J’avais donc l’idée de faire comme une audition enregistrée où la musique renforce la performance de l’acteur.
    Sur Twitter ou un média du genre, Milla Jovovich a parlé de ma musique en bien pendant presque 3 semaines d’affilée. Je lui ai envoyé un message pour la remercier. Elle est devenue complètement excitée en me demandant si j’étais bien le vrai Sohn. (rires)
    Elle était à Paris pour la Fashion Week à l’époque. On s’est échangés nos numéros. Je voulais lui présenter les nouveaux morceaux sur lesquels je travaillais : je lui ai donc envoyé Signal. Elle a adoré. Elle est tellement créative qu’elle a tout de suite eu des idées de visuels. Je lui ai parlé de mon idée de départ. Elle m’a proposé de réaliser le clip et je lui ai plutôt proposé de jouer dedans. Trois semaines plus tard on avait réalisé la vidéo.


  • Tu as précédemment produit des morceaux pour Kwabs ou Banks. Tu veux retenter l’expérience ?

  • Christopher

    Ça me plaisait vraiment beaucoup pendant un temps.
    J’ai envie de faire une pause avec ça pour le moment. Il y a beaucoup de pressions à enregistrer l’album de quelqu’un d’autre. On essaie de guider les artistes sur un chemin et on doit être sûrs que le chemin sur lequel on les mène est celui que l’artiste va finir par aimer.
    Je n’ai jamais de mauvaises expériences à ce sujet. Mais je préfère travailler sur des projets que je maîtrise à 100%. Jusqu’à maintenant j’ai produit 6 des morceaux de l’album de Banks et 3 de l’album de Kwabs. Je préfèrerais carrément produire tout l’album. Je ne suis pas sûr d’apprécier autant la production morceau par morceau que celle d’un album entier.


  • Que peut-on attendre de la nouvelle tournée ?

  • Christopher

    Elle va être plus physique que la précédente. Il va y avoir un batteur et une voix en plus. C’est important pour jouer les nouveaux morceaux.
    Je suis impatient de pouvoir délivrer simplement et plus directement la puissance des morceaux. Et j’ai envie de ressentir ça sur scène.
    On a fait quelques dates en septembre dernier pour nous tester mais on y travaille encore.


  • Qu’est-ce que tu as écouté cette année (2016) ?

  • Christopher

    J’ai beaucoup écouté Kiasmos.
    J’ai aussi écouté l’anthologie complète de Tom Waits : mon album préféré jusqu’alors est Nighthawks at the Diner. Je ne sais pas si ça va influencer ce que je vais faire après, mais je joue beaucoup de piano et je m’intéresse à raconter des histoires dans l’écriture.


  • À quoi peut-on s’attendre pour la suite ?

  • Christopher

    Je ne sais pas. Mais j’observe beaucoup et je note des idées. Ce ne sont pour le moment que des poèmes qui seront peut-être des chansons un jour.
    Ça vient tellement vite maintenant que dès que je ressens quelque chose, je l’écris directement. Dans 6 mois, j’aurai certainement assez de matière pour commencer l’écriture d’un nouvel album. Je n’ai plus besoin de me mettre devant un ordinateur et créer un son. Maintenant que j’ai un piano, je peux prendre 2 minutes pour en créer un. J’ai regardé mes notes vocales il y a quelques jours et il y avait 10 choses intéressantes qui pourraient devenir 10 chansons ou 7 chansons et quelques extras.
    Peut-être que je prendrai du temps à écrire lors de ma prochaine tournée.


  • Interview réalisée le 01/12/2016.
  • Remerciements : Christopher, Sébastien